Tuesday, January 4, 2011

Les respirations de La Havane

Image: Claudio Fuentes Madan

Texto: Boris González Arenas

…Cuba est dans le nombre réduit de pays (…) qui disposent des conditions pour (…) sortir de la crise sans traumatisme social… »
Raúl Castro Ruz
Discours de clôture du VI congrès du Parti Communiste de Cuba
19 avril 2011

Comparer une ville à un organisme vivant n'est pas quelque chose de nouveau. Nombreuses des fonctions quotidiennes d'une ville ressemblent aux fonctionnements propres aux organismes vivants. Mais les villes ne sont pas des organismes vivants. La vie les habite et celle-ci les érige, rend conforme la déambulation de ses animaux, ses plantes et, principalement, les êtres humains.

Une ville sans être humain sera toujours une ville abandonnée, même si les arbres croissent dans ses anciens salons et les animaux sauvages dans leurs espaces copulent dans ses endroits autrefois publics, une ville abandonnée est une ruine dans une forêt.

Le temps qu'elle passe inhabitée importe peu. Le sept mai 1986 la ville de Prípiat n'avait pas achevée vingt-quatre heures d'évacuation que c'était déjà une ruine. La ville construite pour les travailleurs de la centrale atomique de Tchernobyl a été vidée moins de dix jours après l'explosion qui a augmenté les niveaux de radiation de toute l'Europe. Le dernier résident portait dans son adieu le changement de condition de ce qui était une ville et est devenu, avec sa sortie, une ruine.

Une ville peut également montrer ses bâtiments en ruines et être habitée.

Une ruine habitée est une contradiction et suppose presque toujours un état transitoire. C'est le travail des habitants, celui qui lève une ville, la conserve et la transforme. Il n'est pas concevable que les êtres humains renoncent à ce qui leur est naturel : engager son énergie et sa force en créant un environnement digne pour elle et pour ceux qui les entourent. Seuls de grands accidents historiques justifient les ruines habitées, la fin des guerres, quand ceux qui retournent à leurs maisons trouvent le travail de toute une vie défait par le feu, la détérioration dont souffrent les grandes villes, quand elles perdent l'autorité qui les érige et laissent les habitants avec peu d'options face aux restes de la splendeur.

La ville de Nuremberg, en Allemagne, a dû être reconstruite presque totalement après que les bombardements alliés l'aient détruite à la fin de la seconde guerre mondiale ; la ville de Detroit, aux Etats-Unis, fait face aux conséquences du déboisement de la grande industrie automobile qui, dans la première moitié du XX siècle, a fait d'elle la quatrième ville la plus importante du pays et qui dans les dernières décennies a perdu presque la moitié de sa population.

C'est un moment de changement dans lequel l'être humain devra évaluer les nouvelles conditions et agir pour développer l'espace qu'il requière pour vivre. Peu de choses justifient une existence entre les ruines d'un temps meilleur, et toutes sont associées à la détérioration de ce qui chez les êtres humains est essentiel. L'origine de cet état - pour que de son intérieur ne surgisse pas le courage et la stratégie de dépassement de sa condition, pour qu'il ne génère pas d'associations et leur propre leadership des situations critiques, pour ne pas être mort - tient à ce qu'il soit soumis à une indigence morale et matériel immobilisante. Quelqu'un qui peut à peine lever le regard sans crainte qu'ils perçoivent son orgueil, incapable de bouger ses muscles pour qu'ils ne soupçonnent pas sa force ou de soutenir son raisonnement et éviter ainsi qu'ils le marquent pour son intelligence.

"Insuffler" est le verbe avec lequel a été dénommé l'acte d'animer l'inertie. Supposément l'homme a reçu la vie comme par une respiration et cela l'a changé en être animé. Mais c'était une respiration transfrontalière et l'animé pouvait à son tour animer. Il en résulte que la ville est très semblable à un organisme qui semble en vit. C'est par cela qu'une ville détruite - avec tous ses systèmes d'approvisionnement, de transport, de réseaux hydrauliques et électriques paralysés - peut montrer la vie qu'elle contient.

Parce que la ville n'est pas un organisme, cela peut passer. Dans l'immondice une femme peut concevoir un fils, quelqu'un peut donner une sépulture à un frère et tous sentir une espérance face à n'importe quel idée de changement.

Affamé, un enfant peut découvrir le coup de la goutte de la pluie sur le visage, être saisi des ombres de l'aube ou l'espace sans limite auquel il est ouvert face à la mer.

Trompée, souillée, humiliée, une femme peut sentir la vibration de la honte et comme une héroïne de marbre sauter du socle comme de la routine et jeter à terre ce qui condamne ses fils à l'émigration ou à la mort.

Comme dans la vie, rien dans une ruine habitée n'est ce qui a été et, de même, comme dans la vie rien n'est permanent. L'important c'est la respiration.

Des grilles laissées à l'arbitraire de l'intempérie, arrachées de leurs espaces originaux et réappropriées dans des espaces étrangers, des murs jetés au sol et ses briques cotées sur le marché gauche, des tuiles, des faïences, des poutres, des portes, des cristaux, tout a commencé à s'effondrer en ce qui n'a pas pu résister. Dans la stratégie de la misère la respiration vitale est prodigieuse parce qu'elle doit animer la mort. L'étranger à qui cette condition est étrangère, s'étonne après avoir vérifié qu'un corps décoloré peut transporter tant de force dans un panorama semblable, en sachant de plus que seul l'effort réussira à reproduire la condition du malheureux, tandis qu'une multitude de décalés insiste pour soutenir l'accablement dont elles ne sont pas victimes.

C'est le sort des ruines vivantes de protéger ceux qui les habitent et quand elles ne peuvent plus le faire, s'effondrer et s'offrir. Jusqu'à ce que l'amour des vivants trouve des similitudes dans la capacité de livraison des villes ruinées.

Traduction: Catherine F.

1 Mai 2011