Saturday, June 12, 2010

La Permutation *


Photo : Orlando Luis Pardo Lazo
Mon optimisme s’assèche sans que j’aie pu profiter –à mon grand regret- un instant de cette sensation qui porte tant de noms mais qu’un seul verbe définit : croire. Une fois encore cette autre Claudia –la sceptique- reproche à la naïve : je t’avais prévenue que l’action c’était « douter ». Quand Pablo Pacheco m’a appelé, ému par les conversations initiées entre l’Église Catholique et le gouvernement cubain, je lui ai dit : Je ne me fais pas d’illusions mais je me réjouis que toi, depuis ta cellule et condamné à vingt ans pour avoir publié ton opinion, tu ne perdes pas la foi.
Quelques jours plus tard a commencé un transfert de prisonniers politiques que j’ai décidé de baptiser «La Permutation ». Toujours aussi incrédule –je me suis reprise- laisse-leur une marge de temps, peut-être vont-ils en libérer quelques uns avant que l’âme de Fariñas se libère de son corps. Quelle naïveté est la mienne est quel cynisme celui de mon gouvernement !
Quand j’ai appris – après les habituels allers et retours du Ministère des Relations Extérieures– que M. Manfred Nowak, Rapporteur Spécial du Conseil des Droits de l’Homme sur la Torture, ne viendrait pas à Cuba, tout m’a paru clair : nous sommes en présence de la Permutation, à qui ça plait, tant mieux, et sinon qu’il pourrisse dans sa prison. Je deviens même parano et je me demande si les deux décisions (dialogue Cardinal-Général et refus d’entrée du rapporteur) auraient pu surgir au même moment dans un seul esprit. Ne s’agissait-il pas, au départ, de libérer les journalistes er les dissidents malades ? À quel moment « changer de province » a pris la place de « libération » ? Emprisonner un homme pour ses idées, est-ce de la torture ? Et le changer de prison, qu’est-ce que c’est ?
Je serais enchantée que demain quelqu’un me montre l’évidence de mon erreur, que mes amis me sermonnent: « Tu es toujours si radicale ! », que les détracteurs d’Octavo Cerco envahissent le forum avec des commentaires dans le style : Claudia, tu t’es trompée ! Rétracte-toi, Raúl Castro a libéré les malades ! Mais je ne sais pas pourquoi, ce transfert de prisonniers, le refus d’entrée du rapporteur et un dialogue sans délais ni engagements me rappelle le jeu « Pique la queue sur l’âne » : cette compétition où un joueur essaie les yeux bandés de clouer la queue à sa place sur un animal dessiné, en se guidant par les cris d’un groupe qui ne se met pas d’accord sur l’endroit qu’occupe la tête de l’animal sur le papier.
* NdT : à Cuba, même si l’on est « propriétaire » de son logement, il est interdit de le vendre. Seuls sont autorisés les échanges (« permutas »). On voit ainsi des annonces d’offres sur les maisons : « Se permuta ».

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