Saturday, May 15, 2010

Ma Vie Sans Sortie



Image: El Guamá

Ça fait six ans que j'ai pris la décision de ne pas partir et c'est juste aujourd'hui que je réfléchis calmement à cet instant. Ce n'était pas une décision patriotique, ni conformiste, ni lâche. Elle était plutôt totalement irrévérencieuse. Je n'arrive toujours pas à trouver une seule raison rationnelle pour justifier la phrase "je reste ici", que je la disais à tout le monde. On dit que l'on peut passer le reste de sa vie sans mesurer les conséquences de ses actes. Heureusement, j'ai toujours su que: ne pas partir impliquait rester sur le bateau brisé et à la dérive, et, en outre, assumer que je ne resterais pas silencieuse un seul instant pendant qu'il coule (j'ai toujours été un peu rebelle).

J'ai jeté un dé sur mon destin, et le numéro aléatoire ne m'a pas tourmenté: j'ai été heureuse. Lorsque j'ai rejeté ma possible vie "dehors", -quel intéressant syndrome que nous ont laissé la géographie et la révolution "nous à l'intérieur, le reste de l'univers "dehors"-, il ne me restait que peu d'options: j'aurais pu passer le reste de mes jours à monter les marches de l'opportunisme ou à remplir des papiers inutiles au Service de Paiement du Ministère de l'Éducation. Aucune ne me plaisait et j'ai fini par trouver la recette pour survivre l'Armageddon quotidien sans abîmer trop mon âme et je n'ai jamais plus pensé à partir.

Mais un jour, je ne me suis plus suffit de fermer mes fenêtres, de ma stratégie presque parfaite pour apparaître invisible, de ma grande joie de découvrir que mes voisins ne savaient pas si j'étais là ou pas, de mon monde à l'intérieur de la maison: mes proches n'arrivaient pas à me joindre, du boulot mal payé et, -le comble-, un tas de personnages sinistres ne cessaient de répéter sur ma tête que je faisais partie intégrante d'une révolution qui a été de plus en plus lourde et omniprésente. J'ai décidé de créer un blog car ma bulle se fissurait, et, ça aussi, je ne l'ai pas trop analysé non plus.

Aujourd'hui, je regarde mon refus du permis de sortie et ça me procure la paix: je ne suis pas blessée, je n'ai pas été surprise. Il s'agit de la longue ligne avec laquelle j'ai tracé mon chemin, c'est la certitude que je ne me suis pas trompé, c'est la preuve que le gouvernement cubain a pris la peine de me livrer pour que je sache que j'ai réussi, -en dépit de son Parti et de son Etat, de sa sécurité et de son impunité-, à vivre comme une femme libre.

Traducteur: Denis


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