Saturday, May 22, 2010

Sans le droit de montrer le visage

Il est devenu habituel de voir, dans le Journal de la télévision nationale, des groupes de gens qui manifestent dans diverses parties du monde. C'est une sorte d'ironie pour nous, les Cubains, de voir des secteurs d'une société spontanément mobilisés sur les nouvelles du seul système informatif auquel nous avons droit d'accès. C'est à la fois gratifiant: on sent qu'il y a des gens au-dehors qui mettent le pouvoir à sa place avec des actions civiles; et c'est triste: on prend conscience de la terrible solitude dans laquelle l'Etat nous a laissés, on est très petit par rapport au Tout omniprésent.

L'autre jour, ils montraient les images d'une manifestation d'immigrants aux États-Unis et certains des manifestants ont parlé devant les caméras. Une femme dans la quarantaine se plaignait: elle avait passé plusieurs années sur ce territoire et n'avait pas encore de papiers, et, si les services d'immigration la trouvaient, ils l'expulseraient dans son pays. Je regardais la télé et j'ai pensé -parfois mon île grandit dans mon esprit et j'oublie quel petit espace nous occupons dans le monde. Comment peut-elle dire cela devant les caméras? Maintenant, les agents auront son visage et vont aller la chercher n'importe où elle se cachera!

J'oubliais que les fonctionnaires de l'immigration, les forces de renseignement et de contre-espionnage, les lois, le gouvernement, les médias et les syndicats ne répondent pas tous à la même entité, et encore moins au même parti, et qu'en plus la police politique -béni liberté- n'existe pas. Dans mon pays, par exemple, le consulat cubain fait le travail de sape en Espagne et envoie des photos aux services secrets cubains et au ministère de l'intérieur pour qu'ils sachent "qui se comporte bien là-bas et qui ne le fait pas"; les gardes de sécurité reçoivent des ordres directes de la part de la Sécurité de l'Etat pour que certains citoyens "compliqués" ne puissent pas accéder à des institutions publiques; les journalistes officiels sont séparés de leur lieu de travail officiel pour publier sur des sites critiques à l'idéologie officielle; ceux qui osent donner des nouvelles sans demander l'autorisation peuvent un jour se réveiller avec une peine de vingt ans de prison et les opposants politiques doivent supporter sur leurs têtes la colère et la vengeance du Comité Central du Parti tout entier.

Je regarde les clandestins aux États-Unis, avec leurs pancartes et leurs yeux défiants et je ressens une légère jalousie, je sais que ma voisine n'oserait jamais dire face à la lentille ce que cette femme vient de crier au monde entier. Ma voisine n'a pas peur d'être expulsé du pays, elle a une carte d'identité personnelle, une adresse légale et un visage qui, cependant, ne montrerait de désaccord en aucune circonstance.

Traducteur: Denis

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