Saturday, May 29, 2010

Sans photo de R



Photo: Orlando Luis Pardo Lazo

Ce poste ne contient pas l'image de R parce que je n'avais pas le cœur de lui demander de me laisser photographier le trou de la piqure sur sa fesse. Il était environ deux heures du matin samedi et Ciro, un journaliste et moi-même étions chez Juan Juan lorsque l'appel est arrivé.

R criait de l'autre côté du téléphone, on pouvait entendre ses sanglots et les mots "sang" et "ils m'ont piqué", elle était juste à un pâté de maison du magasin "La Mariposa" à Nuevo Vedado, au coin de la rue de sa propre maison. Les hommes sont allés la chercher avec la voiture de Juan Juan. Quelques minutes plus tard, j'avais en face de moi une femme avec le visage couvert de sang, la bouche tuméfiée et un trou avec une auréole rouge dans son pantalon, là où on avait fait les injections: on lui avait pris le téléphone portable, donné des coups de pied et pour finir un hurlement "pique-le, pique-le plus!", ce qui heureusement n'a pas été le cas ou elle ne s'en serait pas sortie vivante. Je l'ai aidé à se doucher pendant qu'elle ne faisait que répéter "ils étaient des enfants, de l'âge de mon fils", et tremblait comme une feuille.
- Nous devons aller à l'hôpital parce que la blessure doit être cousue, après tu te reposes.

À la clinique chirurgicale, le chirurgien de garde, que nous avons réveillé, demanda:
- Qu'est-il arrivé?
- On l'a agressé, on l'a piqué, - lui ai-je dis- puis le vrai surréalisme a commencé:

Il s'est assis à un bureau, a sorti un formulaire et un stylo, a regardé R et sans transition entre le trou de sa fesse et sa routine de l'amygdalite, il s'est disposé à remplir un formulaire:
- Prénom? Nom de famille? Âge? Municipalité?.

Pendant qu'il essayait de faire écrire son stylo, j'ai tué un petit cafard qui déambulait avec satisfaction sur le tableau et contournait le formulaire sans difficulté. Quand il eut fini avec les formalités, il a jeté un coup d'oeil -j'ai pensé pour un instant qu'il ne le ferais jamais- sur la plaie.
- Un point de couture et c'est bon, calmez-vous.

Nous sommes allés faire le point. Le médecin me regardait comme si j'étais complètement hors de ma tête quand j'ai commencé à chasser les mouches de l'infirmerie: lui qui partage un bureau et écrit avec des cafards doit penser que je suis un maniaque de la propreté. R s'est allongé -je ne donnerai pas de détails sur le brancard- et le médecin a préparé le fil à coudre. Une seconde avant de voir l'aiguille dans la peau j'ai demandé:
- N'y a t-il pas d'anesthésie?
- Il ne s'agit que de deux points, ce n'est pas nécessaire.
- Les points font mal.

Juan Juan, debout à côté de moi, blanche comme le lait et avec des sueurs froides, intervint:
- Mais si on vient de lui donner des coups de pied. N'y a t-il pas d'anesthésie?.

Dieu merci, il y en avait et on lui en donné, parce que les "deux petits points" ont pris quinze minutes pour être faits et R n'était pas capable de supporter davantage de douleur. À un certain moment, tout cela était trop intense pour moi et j'ai eu envie de vomir: les mouches, le sang, la chaleur. Je suis sortie pour prendre l'air.

- Qu'est-ce que c'est que ce liquide?- s'écria Juan Juan presque à la fin; à ce moment-là j'étais à nouveau entrain de dramatiser avec les mouches, que je poursuivais avec fureur.
- De l'iode, le meilleur désinfectant du monde.
- Heureusement, je ne suis pas allergique, a lâché R, et j'ai dû sourire, sinon, j'aurais pu défaillir.

Traducteur: Denis

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